Le droit à vivre en ville
>> Juillet 2012Comment penser la cité pour que les pauvres, les précaires, puissent s’intégrer dans les quartiers et non s’y morfondre ? Comment aménager la ville pour éviter de renforcer l’exclusion sociale ? En quoi le développement urbain contribue-t-il à creuser la fracture sociale ?
Immigration, crise du logement, relégation des populations les plus pauvres dans les quartiers périphériques : à Bruxelles, cela fait un demi-siècle que le territoire est devenu un enjeu des rapports sociaux. A l’image de la société dans son ensemble, la ville se dualise et renvoie dos à dos des Bruxellois aux emplois stables, bien payés, intéressants, et d’autres Bruxellois sans emploi ou aux jobs instables, temporaires, mal payés. Dans ce cadre inégalitaire, on voit de plus en plus apparaître un fossé entre ceux qui s’en sortent et ceux qui pour qui vivre à Bruxelles devient impossible. Ce droit à vivre en ville est la question ultime.
Le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté publie une plaquette qui reprend ces différents enjeux, entre l’urbanisme et la lutte contre la pauvreté. En voici quelques extraits :
- Le droit à vivre en ville
Bruxelles est l’une des villes les plus riches d’Europe : croissance économique, développement important du secteur tertiaire, augmentation de l’emploi et des services. Pourtant, au même titre que d’autres grandes villes européennes, le taux de chômage reste extrêmement élevé (entre 18% et 20% selon les périodes). En effet, la majorité des emplois sont occupés par des personnes qui vivent à l’extérieur de la capitale. Les résidents bruxellois ont en général des postes moins bien rémunérés et les revenus de substitution alloués aux sans emplois sont très faibles. Ainsi, dans certains quartiers, le taux de chômage dépasse les 40% de la population active. Un bruxellois sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Or, Bruxelles est une ville chère. L’accès à la propriété est devenu difficile et les loyers y sont plus élevés que dans les autres régions de Belgique. Les autres services et marchés sont également plus sélectifs. Les Bruxellois sont donc confrontés à un problème inextricable : acheter sur un marché plus cher avec des revenus plus faibles. Cette situation pose le problème de la possibilité et du droit à vivre en ville.
- Les enjeux du boom démographique
Les chiffres de la population de Bruxelles sont clairs : avec près d’1,1 million d’habitants en 2010, nous assistons à une explosion démographique. Après des années de migration urbaine, la population bruxelloise connaît aujourd’hui une croissance de 6% par an. A ce rythme, les dernières études tablent sur un supplément de 170.000 à 240.000 habitants d’ici 2020. En réalité, ce sont des milliers de ménages supplémentaires qu’il faudra accueillir chaque année. Un défi gigantesque. Aujourd’hui déjà, l’offre de logement ne parvient pas à satisfaire la demande. Cela entraîne une précarité du logement et un logement inadéquat. Pour accueillir cette nouvelle population, il sera impératif de construire ou de rénover des logements pour les bas revenus : les nouveaux Bruxellois n’auront pas un profil socio-économique favorisé. Or, plus de 30.000 familles sont déjà inscrites sur les listes d’attente pour un logement social. Les pouvoirs publics introduisent en moyenne des demandes de permis d’urbanisme pour 400 logements sociaux par an. Ce sera nettement insuffisant.
- Le sans-abrisme
En Région bruxelloise et à l’échelle du pays, les analyses sur les sans-abri se distinguent par l’absence de recensement fiable. Les chiffres ne sont donc que des estimations. À Bruxelles, le seul dénombrement disponible fait état de 1.944 personnes sans-abri. Mais le phénomène est souvent caché, invisible, et se vit dans l’anonymat. Aussi, ce chiffre est une sous-évaluation. Il est cependant intéressant de constater que le phénomène touche un nombre restreint de personnes. La problématique, si elle est « qualitativement » extrême, reste donc « quantitativement » cernable. C’est pourquoi une politique ambitieuse en matière de lutte contre le sans-abrisme reste possible et réaliste. Aujourd’hui, contrairement à ce qui se passe ailleurs en Europe, force est de constater qu’une telle politique peine à voir le jour à Bruxelles.
- La mixité sociale
Comme toutes les grandes villes, Bruxelles attire des populations issues d’horizons nationaux et culturels différents. Contrairement à d’autres centres urbains, elle n’a pas créé de banlieues éloignées pour y faire résider les personnes issues de l’immigration. Ainsi la ville connaît en son sein une mixité sociale et culturelle certaine. En tant que centre urbain, Bruxelles a des capacités d’intégration immenses. Mais l’intégration socioculturelle ne s’accompagne pas nécessairement d’une intégration économique. Ainsi, on constate que les personnes d’origine étrangère subissent des discriminations à l’emploi. Dans les quartiers dits du « croissant pauvre » et habités par des populations issues des mouvements migratoires, le taux d’emploi demeure très faible et celui de la pauvreté est très élevé.
- L’accès aux services
La population bruxelloise est en croissance constante. Compte tenu de cette forte pression démographique et des difficultés liées à certains financements structurels, l’offre de services est insuffisante. C’est par exemple le cas de l’offre scolaire : on estime que pour 2020 il faudra construire environ 80 nouvelles écoles en Région bruxelloise. En outre, la possibilité d’accéder aux services est conditionnée par la position sociale des habitants. Un tiers des Bruxellois déclarent ainsi avoir dû postposer des soins de santé pour des raisons financières. Les fortes inégalités de revenu génèrent deux phénomènes. En premier lieu, l’engorgement de certains services de base avec la création de longues files d’attente – c’est par exemple le cas des services de médiation de dettes. En second lieu, la privatisation de certains services, leur transformation en structures payantes et sélectives – comme par exemple le soutien scolaire.
- La densification
Aujourd’hui à Bruxelles, près de 90% de la population vit dans des noyaux d’habitat, c’est-à-dire de manière groupée. Et la gestion environnementale et économique de la ville pousse de plus en plus les politiques urbanistiques à densifier la ville. Mais comment une ville compacte peut-elle être fonctionnelle, conviviale et accessible ? Une ville plus dense est une ville où il y a moins d’espaces publics et de végétation. Selon les urbanistes, il est possible de réaliser un système fonctionnant relativement bien lorsque l’on atteint une densité de 100 à 150 habitations par hectare. Mais certains préconisent d’aller jusqu’à 250 dans certains quartiers bruxellois. La conséquence de cette densification est que, généralement, le type de logement construit est inadapté aux familles ayant des ressources limitées ou dont la composition nécessite de l’espace.
- La gentrification
La gentrification est un processus qui combine la réhabilitation de l’habitat ancien, l’installation progressive de ménages aisés et le départ des populations en place. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une stratégie volontaire. Mais force est de constater que le phénomène se développe dans les quartiers défavorisés grâce notamment à la mise en œuvre de programmes politiques de rénovation ou de primes à l’embellissement. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes des « contrats de quartier » bruxellois qui revalorisent l’habitat et l’espace public. Les investissements des pouvoirs publics dans ces programmes qui ciblent les quartiers populaires stimulent leur attractivité. Et l’on assiste bien souvent à un enrichissement de ces zones qui se transforment progressivement en quartiers « à la mode ». Graduellement, l’activité économique, sociale et culturelle locale évolue, et le quartier devient pratiquement inaccessible pour les populations d’origine. En définitive, celles-ci choisissent souvent de déménager.
- Le mal-logement
L’explosion des loyers et le prix de plus en plus élevé des biens immobiliers à Bruxelles entraînent la quasi impossibilité de se loger pour de nombreux ménages – mais aussi pour des personnes isolées. Trouver un logement répondant à ses besoins à un prix abordable est devenu un défi pour les petits revenus. Et l’offre brute de logements ne suit pas la demande. Lorsque l’on parle de mal logement, il faut faire la distinction entre le logement précaire (menacé d’exclusion en raison de baux précaires, expulsions, violences domestiques) et le logement inadéquat (logement trop petit ou insalubre, espace sans confort ou ne respectant pas les réglementations). Certains propriétaires rechignent à faire les travaux d’entretien qui s’imposent faute de disposer de moyens financiers suffisants. D’autres encore, peu scrupuleux, rentabilisent à tout prix. L’existence encore actuelle de « marchands de sommeil », à savoir de propriétaires louant des logements exigus, mal équipés et insalubres, en est la scandaleuse illustration.
Pour être tenu au courant de nos actions, veuillez remplir le formulaire ci-joint : FORMULAIRE