Recherche sur les écoles de devoirs
>> Février 2012L’accrochage scolaire reste un des enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté infantile. Depuis les années 70, les écoles de devoirs en ont fait leur cheval de bataille. Mais aujourd’hui, on peut déplorer qu’elles s’écartent d’un rôle qu’elles sont pourtant presque les seules à jouer : l’accrochage scolaire des enfants pauvres par l’aide aux devoirs. C’est le résultat d’une étude , menée par le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté.
Elles sont quelque 200 en Région bruxelloise, implantées dans les quartiers les plus défavorisés, et elles accueillent quotidiennement des milliers d’enfants. Sur le terrain, les EDD répondent à un besoin des parents pauvres car, à quelques exceptions près, elles constituent les seuls services de proximité susceptibles d’assurer un soutien scolaire pour leurs enfants. Or, étant donné la précarisation des familles bruxelloises, l’on peut craindre un accroissement de la pauvreté infantile, et donc une demande encore plus forte en termes de soutien à la scolarité. Dans ce contexte, les enjeux deviennent de plus en plus pressants et se situent au niveau de la prégnance du lien entre réussite scolaire et situation socioéconomique. C’est en brisant ce couple infernal que l’institution scolaire pourra constituer un barrage efficace contre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté.
Mais est-ce vraiment le rôle de l’associatif de palier les limites et difficultés de l’école ? Est-ce que, en proposant une aide aux devoirs, les EDD n’entretiennent pas une supposée tendance à la déresponsabilisation de l’institution scolaire ? Est-ce que les EDD ne constitueraient pas des dispositifs de première ligne qui permettent aux politiques de rester dans une « gestion du décrochage scolaire » plutôt que de s’attaquer à ses causes profondes ? Voilà les questions qui gangrènent aujourd’hui un secteur qui se cherche. Nous les avons étudiées durant dix mois, au fil de cette recherche, en nous basant principalement sur l’analyse de plus d’une centaine d’entretiens effectués avec différents acteurs de l’accrochage scolaire.
Par manque de positionnement clair et de pilotage politique univoque, le secteur des EDD remet en question la pertinence de sa pratique d’aide aux devoirs. Il est encouragé en cela par la Communauté française qui, par un décret de 2004 et un nouveau texte en préparation, conditionne sa reconnaissance à une pratique plus large d’activités d’éveil et de découverte. Aussi, le secteur s’oriente de plus en plus vers un discours psychopédagogique, en opposant le « faire du devoir » et le « développement multidimensionnel » de l’enfant. Si cette perspective peut paraître réjouissante d’un certain point de vue « socioculturel », elle l’est par contre beaucoup moins du point de vue de l’accrochage scolaire des enfants pauvres, et donc de la lutte contre la pauvreté. Car derrière le discours psychopédagogique des écoles de devoirs se cache en fait une résignation certaine par rapport à la chose scolaire.
Les EDD s’écartent d’un rôle qu’elles sont pourtant presque les seules à jouer : l’accrochage scolaire des enfants pauvres par l’aide aux devoirs. En termes de lutte contre la pauvreté infantile, ce retrait est contreproductif. A travers cette recherche, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté invite les politiques régionales (Commission communautaire française) et communautaires (Communauté française) à se coordonner pour insister sur les mêmes priorités. En dépit de la volonté de certains acteurs des EDD, ces dernières devraient renouer avec les missions essentiellement scolaires et sociales des EDD. Car, comme le suggèrent les priorités définies par la Région bruxelloise en matière de cohésion sociale, le soutien scolaire proprement dit est également l’affaire de l’associatif, et en particulier des EDD.
Vu l’ampleur et la complexité de la problématique du décrochage des enfants pauvres, tous les acteurs concernés doivent s’y impliquer à leur niveau. Les EDD ne doivent pas s’exclure des enjeux concernant la scolarité. Elles ne doivent pas non plus, par manque d’indépendance, se faire assimiler par le système scolaire. Elles doivent occuper une place difficile, entre les familles et l’école, pour assumer pleinement un rôle d’intermédiation entre ces deux entités. A partir de cette place, et en profitant du sésame idéal que constitue le devoir, les EDD pourraient investir le monde scolaire et le champ familial. En échangeant leurs pratiques professionnelles avec celles de l’école, les animateurs d’EDD pourraient induire une attention particulière du personnel scolaire par rapport aux questions sociales. En consolidant leurs liens avec les ménages pauvres, les EDD rempliraient une fonction d’aide à la parentalité. En dépassant le cadre strict de leur travail avec l’enfant pour influer sur les parents, les EDD surmonteraient ainsi l’ambiguïté qu’instaure le concept de pauvreté infantile en se focalisant sur l’enfant au risque d’oublier que la pauvreté est d’abord une histoire d’adultes et, dans le cas qui nous concerne, de parents.
Pour le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, Nicolas De Kuyssche et Rocco Vitali.
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